Intérieurs

En 2015, j’ai été mandatée pour réaliser l’archivage photographique de la collection de maisons de poupées d’une architecte suisse. La collection comprend une cinquantaine de pièces, principalement d’origine allemande ou anglaise, construites entre la fin du XIXe siècle et la fin du XXe siècle. Pour ce travail, j’ai réalisé des prises de vues typologique et systématique de leurs façades, en noir et blanc avec un point de vue frontal pour éviter les distorsions et concentrer le regard sur leurs données graphiques et formelles. En les manipulant et en observant leurs intérieurs, j’ai été saisie par l’intérêt sociologique et le potentiel narratif de ces objets-jouets, fabriqués à l’origine pour initier de façon ludique les petites filles à leur futur rôle de mère, épouse, et maîtresse de maison. Ces considérations résonnaient avec d’autres sujets que j’étudiais au même moment à savoir l’histoire de l’invention de l’hystérie et la fabrication des représentations du féminin à travers le médium photographique.

Le projet a alors pris une dimension plus vaste et personnelle. Il a été abordé sous la forme d’une enquête anthropologique, se poursuivant sur plusieurs années. Il se décline en plusieurs séries photographiques impliquant la collectionneuse elle-même dans un rôle de modèle, une décoratrice, une costumière, une perruquière de théâtre ainsi qu’une danseuse contemporaine. J’ai envisagé ces maisons miniatures comme des théâtres de mémoires historiques, des plateformes de projections que j’ai activées par des jeux d’échelles, et de mises en scènes. Tantôt en photographiant leurs intérieurs avec des dispositifs d’éclairage méticuleux et le placement de décors extérieurs en arrière-plan visant à créer une vraisemblance. Tantôt en reproduisant leurs papiers peints à l’échelle humaine et en faisant poser la collectionneuse en costumes d’époques en reprenant, selon les périodes, les attitudes des mannequins de revues de mode/architecture, ou les gestuelles des hystériques mises en scènes par Jean-Martin Charcot dans l’Iconographie photographique de la Salpêtrière. J’ai ensuite opéré à la déconstruction de ces mises en scènes et représentations. Par exemple, en faisant ré-activer ces même gestuelles « hystériques » par une danseuse recouverte d’un drap noir, devant un fond noir, pour isoler les mains du reste du corps et du contexte psychiatrique. Et dans une dernière série où un corps recouvert d’une combinaison intégrale dont le genre social et sexuel à été neutralisé est figé dans une attitude performative d’activités du quotidien.

 

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